Etienne Papin, avocat associé, 15 octobre 2012 pour CIO Online
« Mon administration prendra les actions appropriées pour publier rapidement les informations, sous une forme que le public peut facilement utiliser. Les administrations devront utiliser les nouvelles technologies pour mettre en ligne les informations relatives à leurs activités et à leurs décisions ». Voilà, en substance, comment les principes de « l’open data » et de « l’open government » ont été promus par Barack Obama dès son entrée en fonction. Sans en avoir été l’inventeur, le président américain fut un partisan remarqué de ce mouvement en faveur d’un large accès au gisement d’information que sont les données publiques.
Peu de temps après son mémorandum sur le « la transparence et le gouvernement ouvert », l’administration américaine ouvrait en mars 2009 le site « data.gov ». De façon similaire, en France, la mission « Etalab », créée en février 2011, a également été chargée de créer un portail unique destiné à rassembler et à mettre à disposition librement l’ensemble des informations publiques de l’Etat et, si elles le souhaitent, des collectivités territoriales et des personnes morales chargées d’une mission de service public.
Cette mission a lancé en décembre 2011 le portail data.gouv.fr. Sur ce portail, plus de 350 000 jeux de données sont aujourd’hui accessibles, ce qui représente une ouverture sans précédent de l’accès aux données publiques.
Le contexte juridique de cette ouverture mérite d’être rappelé. L’accès, qui se veut aujourd’hui large aux données publiques, s’opère cependant d’un cadre juridique strict, assorti de plusieurs limites.
Le gisement des données publiques
L’Etat, dans sa plus large acception, produit de la donnée. Souvent inhérentes à son fonctionnement, comme c’est le cas pour toute entreprise privée, les données produites pas l’Etat ont parfois une valeur qui intéresse le secteur privé. Dans une approche « patrimonialiste » des données produites avec l’argent public, les administrations ont souvent été tentées de limiter l’accès aux données qu’elles produisent. L’exploitation des données publiques peut également être vue par les personnes publiques comme une nouvelle source de financement en ces temps de disette budgétaire.
Historiquement, l’accès à l’information détenue ou produite par l’administration relève de deux régimes juridiques différents : celui des archives publiques, dont la première législation remonte à 1794, et celui de l’accès aux documents administratifs, droit nouveau pour les citoyens instauré par une loi du 17 juillet 1978¹.
Les deux régimes juridiques, qui peuvent porter sur des documents identiques (tous les documents administratifs étant des archives publiques), relèvent cependant de deux inspirations différentes. La loi sur les archives participe de la possibilité pour le citoyen de prendre connaissance de l’activité passée de l’administration ; la loi sur l’accès aux documents administratifs s’inscrit elle dans une logique de contrôle démocratique : il est une liberté publique que de prendre connaissance de la « pensée écrite » de l’administration.
Sur ces deux logiques, qui vivaient en parallèle, une troisième problématique est venue s’inscrire : celle de l’exploitation commerciale des données publiques. L’organisation délicate de ces trois régimes juridiques ne s’est achevée que par une ordonnance du 30 avril 2009².
L’accès aux archives et aux documents administratifs
Une loi du 15 juillet 2008 a posé, à l’article L213-1 du code du patrimoine, un principe nouveau de communication « immédiate » des archives publiques. Ce principe est néanmoins assorti de nombreuses exceptions, qui repoussent, parfois jusqu’à une durée de 100 ans, l’accès aux archives publiques. Concrètement, le code du patrimoine prévoit trois modalités de communication des archives publiques : par consultation gratuite sur place ; par la délivrance d’une copie sur un support identique ou compatible avec celui utilisé par l’administration et par courrier électronique.
A côté de ce droit d’accès « à terme » aux archives publiques, la loi du 17 juillet 1978 pose le principe d’un accès « immédiat » aux documents administratifs. Assorti d’un certain nombre d’exceptions et de conditions, l’article 2 de la loi pose une obligation aux personnes publiques de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande. La loi prend soin de préciser les conditions financières de cette communication : la délivrance d’une copie s’opère aux frais du demandeur mais sans que ces frais puissent excéder le coût de la reproduction. Lorsque le document est disponible sous forme électronique, sa communication par courrier électronique est sans frais.
L’exploitation commerciale des données publiques.
La finalité principale de ces textes est celle d’un accès « individuel » à l’information détenue par l’administration. Qu’en est-il d’un accès « massif » à la donnée publique, motivée par un besoin d’exploitation commerciale ?
Cette question ancienne ne fait l’objet d’une réglementation que depuis l’ordonnance n°2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques. Cette ordonnance est venue transposer la directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. L’ordonnance a introduit un chapitre nouveau dans la loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs.
Le principe introduit dans le texte est maintenant celui de la liberté de réutilisation des informations publiques, même à des fins commerciales.
La loi pose quelques conditions à cette libre exploitation des données publiques : les informations ne doivent pas être altérées, leur sens ne doit pas être dénaturé et leurs sources et la date de leurs dernières mises à jour doivent être mentionnées.
Plusieurs articles du chapitre II de la loi du 17 juillet 1978 mettent l’accent sur la nécessaire préservation de la concurrence dans l’accès ou l’exploitation des données publiques. Ainsi, en principe, une personne tierce ne peut bénéficier d’un droit d’exclusivité sur la réutilisation d’informations publiques. Lorsque l’administration elle-même commercialise les données, elle ne peut facturer la réutilisation aux opérateurs privés à un coût supérieur à celui qu’elle s’impute elle-même ou leur impose des conditions moins favorables qu’à elle-même.
La perception d’une redevance par l’administration, en contrepartie de la fourniture des données, est autorisée. Cette redevance peut inclure les coûts de mise à disposition des informations ; les coûts de collecte et de production des informations et une rémunération « raisonnable » de l’investissement laquelle peut inclure, le cas échéant, une rémunération au titre des droits de propriété intellectuelle.
Des exceptions à la libre exploitation des données publiques
Certaines informations demeurent soustraites au principe de libre communication et exploitation des données publiques. Il s’agit d’abord des informations produites ou reçues dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public à caractère industriel et commercial. Il s’agit également, et cela se comprend aisément, des informations sur lesquelles des tiers détiendraient des droits de propriété intellectuelle.
Enfin, la loi du 17 juillet 1978 exclut du principe de libre accès aux données, les informations des établissements et institutions d’enseignement et de recherche et des établissements, organismes ou services culturels. Pour les données produites par ces institutions, la loi autorise les administrations concernées à fixer elles-mêmes les conditions d’accès aux données et de réutilisation. Ces règles, fussent-elles définies par le service lui-même, n’échappent cependant pas aux principes posés par l’ordonnance du 6 juin 2005. Dans trois avis du 25 mars 2010, la CADA le rappelle en ces termes : « Les établissements culturels ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant d’apprécier l’opportunité de faire droit ou non à une demande de réutilisation ».
La licence ouverte
La loi du 17 juillet 1978 prévoit que la réutilisation des données publiques donne lieu à la « délivrance d’une licence » lorsque cette réutilisation est soumise au paiement d’une redevance.
Cette licence ne peut fixer des conditions à la réutilisation des données que pour des motifs d’intérêt général, de façon proportionnée, et sans porter atteinte à la libre concurrence.
La mission Etalab, dans le cadre de son portail « data.gouv.fr », a élaboré une licence qu’elle a intitulée « licence ouverte ». Cette licence couvre la réexploitation de l’ensemble des données qui sont accessibles sur le portail « data.gouv.fr ».
Ainsi, la licence permet-elle à toute personne téléchargeant des données depuis « data.gouv.fr » de réutiliser gratuitement l’information, dans le monde entier et pour une durée illimitée. Cette licence permet notamment de reproduire, copier, publier, transmettre, diffuser, redistribuer l’information ; adapter, modifier, extraire et transformer l’information ; exploiter l’information à titre commercial. Bref, de tout faire ! La seule condition mise est de mentionner la source de l’information et la date de sa dernière mise à jour.
En réalité, la nécessité même de cette licence pose question puisque, ainsi qu’on vient de le dire, la loi n’envisage une telle licence que lorsque la réutilisation des données est soumise au paiement d’une redevance. Or, sur « data.gouv.fr », les données sont d’un accès libre, et leur réexploitation n’est pas soumise au paiement d’une redevance. La « licence ouverte » n’a, en conséquence, pas d’autre effet juridique que de rappeler les conditions légales dans lesquelles les données publiques obtenues peuvent être réexploitées.
1. Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.
2. Ordonnance n° 2009-483 du 29 avril 2009 prise en application de l’article 35 de la loi n°2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives.