INTERNET : N’EST PAS HEBERGEUR QUI VEUT !

30/06/2022

Tout intervenant sur internet n’est pas forcément un hébergeur. Bien au contraire ! La chambre commerciale de la Cour de cassation l’a rappelé utilement à la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 1er juin 2022.

La société espagnole Ticketbis revendait sur son site internet Ticketbisfr.com, sans autorisation de l’organisateur, des billets pour les matchs de l’équipe de France de football. Elle revendiquait la qualification d’hébergeur pour bénéficier de ce régime accueillant d’irresponsabilité, en prétendant n’avoir pas de rôle actif dans la vente des billets. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt 11 septembre 2020, avait retenu cette qualification.

Fort logiquement, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt, au visa de l’article, I, 2° de la LCEN du 21 juin 2004. La Cour de cassation retient le rôle actif de la société Ticketbis dans la commercialisation des billets : l’offre de choix entre les différentes compétitions sportives aux acquéreurs de billets, les commentaires sur les matchs à venir, la sécurisation de la transaction par Ticketbis, l’optimisation et la promotion des ventes en cause, etc.

AUDIT DE LICENCES ORACLE

31/05/2022

Une société de conseil qui installe par erreur une mauvaise version d’un progiciel Oracle engage sa responsabilité contractuelle à l’égard de son client. A la suite d’un audit de licences diligenté par Oracle, la société utilisatrice s’est aperçue qu’une version « entreprise » avait été installée sur ses systèmes alors qu’elle était licenciée d’une version « standard ». La responsabilité en incombait à son intégrateur qui avait installé la mauvaise version lors d’une projet de montée de version. L’audit s’était soldé par une régularisation à hauteur de 147 000 euros.  Par un arrêt du 27 mai 2022, rendu après cassation, la Cour d’appel de Paris condamne l’intégrateur à indemniser la société utilisatrice du montant de la régularisation payée par celle-ci à Oracle, augmenté de l’intérêt de retard. Soulignons l’opiniâtreté dont la demanderesse a fait preuve : l’action en justice introduite en 2015 trouve son dénouement après un rejet de la demande en première instance, une réformation en appel et un arrêt de la Cour de cassation en 2021.

VERS UNE IMPUNITÉ TOTALE DES AUTEURS DE CONTENUS ILLICITES EN LIGNE ?

25/05/2022

Au terme de trois années de procédure devant les tribunaux civils, une dirigeante d’entreprise dont la page Wikipédia est régulièrement alimentée par des détracteurs s’est vu refuser par la Cour d’appel de Paris le droit d’obtenir de l’encyclopédie en ligne la communication des données techniques qui permettraient d’identifier les auteurs des propos litigieux car ces derniers opèrent (évidemment !) sous pseudonyme. Personne ne peut comprendre et accepter les conséquences de cet arrêt du 18 février 2022. Le droit et la justice ne peuvent consacrer l’impossibilité de réguler les comportements en ligne. Comment en est-on arrivé là ?

Lire l'analyse de Stéphanie Foulgoc au Village de la Justice

LE MYTHE DE LA REGULATION PAR LA DATA

13/05/2022

Le monde numérique offre en trompe-l'oeil le mythe d'une régulation par l'accumulation et le contrôle des flux de données. Basés sur l'accumulation de données numériques, les exemples de législations récentes sur le passe sanitaire, les transactions en crypto-monnaies et la facture électronique interrogent sur les fondements et l'efficacité d'une alliance entre data et loi.

Lire la chronique d'Etienne Papin dans Le Monde Informatique 

ANONYMAT ET REGULATION DES RESEAUX

11/05/2022

Une notaire se considérant dénigrée et victime de pratiques commerciales trompeuses par de faux avis publiés anonymement sur Google demandait qu’il soit enjoint à Google Ireland de communiquer les données d’identification des auteurs de ces avis. Par un arrêt du 27 avril 2022, la Cour d’appel de Paris a refusé cette demande.

● La Cour juge que l’article 6 II de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) « ne prévoit plus la possibilité de communiquer les données conservées pour les besoins des procédures civiles ». Elle énonce que « la conservation des données d’identification par les fournisseurs d’accès à internet et de services d’hébergement est désormais strictement encadrée aux seuls besoins des procédures pénales ». La Cour retient en outre que la requérante échoue à démontrer un motif légitime pour engager une action pénale contre les auteurs des avis, qui « relèvent de la libre critique et ne constituent pas (…) un abus de la liberté d’expression ». La communication des données identifiantes lui est refusée.

● La Cour juge enfin qu’aucun trouble manifestement illicite n’est caractérisé et que Google n’a dès lors pas d’obligation de retirer les avis litigieux.

Cette jurisprudence est particulièrement surprenante voire inquiétante. Au nom de la liberté d’expression, il devient ainsi permis à toute personne, sous couvert d’anonymat, de tenir tout type de propos et d’échapper à toute responsabilité. La réparation des dommages subis dans l’abus de liberté d’expression ne doit pas être cantonnée aux seules juridictions pénales par ailleurs débordées et qui peinent à instruire les dossiers de diffamation et injures.

Reste à espérer que cette jurisprudence sera un cas d’espèce. Il n’est pas dans l’esprit annoncé du Digital Services Act qu’internet soit consacré comme un espace d’impunité et de malveillance…

ENFANTS INFLUENCEURS

04/05/2022

Un décret a été pris le 28 avril 2022 pour l’application de l’article 1er de la loi n°2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne. La loi du 19 octobre 2020 soumet la diffusion de l’image des mineurs de 16 ans sur des plateformes de partage de vidéos à titre lucratif à un régime d’autorisation administrative préalable et à d’autres formalités. Le décret n° 2022-727 relatif à l'encadrement de l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne procède aux modifications nécessaires des dispositions du code du travail concernées, mais pour l’application de l’article 1er de la loi seulement. D’autres décrets seront nécessaires pour préciser le reste des dispositions prévues par la loi du 19 octobre 2020.

RESPECT DU DROIT D’AUTEUR PAR LES PLATEFORMES

27/04/2022

Par une décision du 26 avril 2022, la CJUE a estimé que l’obligation faite aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de contrôler les contenus que des utilisateurs souhaitent partager sur leurs plateformes est compatible avec la liberté d’expression et d’information. La CJUE rappelle les éléments permettant d’établir que le "principe de proportionnalité" dans les limitations aux droits fondamentaux est respecté :

• Le fait qu’il soit laissé aux fournisseurs le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé n'est pas incompatible avec l’exigence selon laquelle toute limitation de l’exercice d’un droit fondamental doit être prévue par la loi.
• Il a d’ores et déjà été interdit par la CJUE que les fournisseurs prennent des mesures de filtrage automatique préventif, ce qui est proportionné à la liberté d’expression. 
• Les fournisseurs n’ont aucune obligation générale de surveillance et ne sont pas tenus de prévenir le partage de contenus dont la constatation nécessiterait une appréciation autonome du contenu de leur part et les titulaires de droits doivent leur avoir transmis les informations pertinentes et nécessaires à l’égard des contenus en cause.
• Les utilisateurs sont autorisés à partager des contenus aux fins de la parodie ou du pastiche et sont informés par les fournisseurs du droit d’auteur et de ses limitations: ils bénéficient ainsi d’une protection uniforme dans l’UE.
• Il existe en tout état de cause plusieurs garanties procédurales dans le cas où les fournisseurs bloqueraient tout de même des contenus licites, dont des dispositifs internes de traitement des plaintes rapides et efficaces, en plus des recours extrajudiciaires ou judiciaires. 

Pour toutes ces raisons, l’article 17 de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique n’est pas annulé et le recours de la République de Pologne est rejeté.

COMMUNICATION D’INFORMATIONS SENSIBLES A L’ETRANGER

18/02/2022

Le décret n°2022-207 du 18 février 2022 et un arrêté d'application du 7 mars 2022 mettent en place une procédure d’avis par le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), devant être engagée par toute entreprise recevant une demande de communication de certains documents ou renseignements émise par une autorité publique étrangère. Sont notamment visées les procédures américaines dites de "eDiscovery".

Depuis une loi du 26 juillet 1968, les documents ou renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est susceptible de porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l'ordre public, ou tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères, font l'objet d'une interdiction de communiquer.

Encore faut-il établir si le document ou renseignement en question est concerné par l’interdiction de communiquer. La procédure d’avis rendu par le SISSE a pour objectif d’accompagner les entreprises dans cette décision.

Le décret prévoit que l’entreprise ayant reçu la demande de communication la transmet au SISSE et dépose un dossier, dont la composition est fixée par l’arrêté. Le dossier doit ainsi contenir le numéro d’immatriculation de la société détentrice des éléments requis, l’organigramme permettant d’identifier les personnes contrôlant la société, une description des activités de celle-ci, les concurrents français et étrangers de la société en question, les motifs de la demande de communication, les échanges entre le requérant et la société détentrice des documents, et les coordonnées d’une personne désignée au sein de l’entreprise détentrice.

Le SISSE instruit le dossier et doit rendre un avis à l’entreprise sous un mois concernant l’applicabilité de l’interdiction de communiquer aux documents en question.

LIBERTE D’EXPRESSION AU SEIN DE L’ENTREPRISE

15/03/2022

Un salarié peut-il exprimer, par des courriels adressés à ses supérieurs et à ses nouveaux collègues, son désaccord sur les modalités de rachat de la société pour laquelle il travaille par une autre société ?  Oui nous dit la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 février 2022, dès lors que ce désaccord n’a pas été exprimé « dans des termes outranciers ou injurieux » et qu’ainsi, le salarié n’a « pas abusé de sa liberté d’expression ».  Le ton des emails échangés entre le salarié et ses nouveaux collègues ou sa hiérarchie n’a pas été jugé agressif, et il a été jugé justifié qu’il exprime des opinions à ses supérieurs, fussent-elles divergentes de la leur, sur le traitement fiscal d’une opération, alors que ses fonctions consistaient précisément à assurer la conformité au plan fiscal des transactions effectuées par la société. La Cour de cassation considère ainsi que le licenciement doit être déclaré nul. Depuis sa généralisation dans les entreprises il y a plus de 20 ans, l’email reste un problème épineux à gérer pour les directions générales et les directions des ressources humaines.
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