Actualités

QUI VEUT COMPRENDRE LA SIGNATURE ÉLECTRONIQUE ?

Juin 2016

Etienne Papin, avocat associé, 2 juin 2016 pour Le Monde du Droit.

Pas les juges, pourra-t-on répondre à cette question. C’est à la fois dommage et compréhensible. Dommage, parce que l’on ne peut se résoudre au fait qu’un instrument aussi essentiel à la perfection d’un acte juridique ne soit pas apprécié à sa juste mesure par les tribunaux. Compréhensible, parce que la technologie sous-jacente à la signature électronique et les textes qui la régissent sont d’une complexité telle qu’il est bien souvent difficile de les comprendre sans avoir reçu une formation spécifique.

Les faits soumis dernièrement à la Cour de cassation tendent à se répéter. Il s’agit de l’acceptation en ligne d’un contrat d’assurance que le prétendu assuré déniait avoir souscrit. Le procédé de signature électronique utilisé par l’assureur était fourni et mis en œuvre par une société prestataire de service.

Pour considérer que le défendeur était bien la personne ayant souscrit le contrat d’assurance en ligne, le juge de proximité de Montpellier, dans une décision du 11 février 2014, avait retenu que « la demande d’adhésion portait mention de la délivrance de ce document par la plateforme de contractualisation en ligne […] permettant identification et authentification précise des signataires » sans autre précision. Autrement dit, le simple fait que ladite plateforme de signature en ligne des contrats soit utilisée emportait, pour le juge de proximité, la présomption de fiabilité de la technique de signature utilisée sur cette plateforme.

C’est là une application bien surprenante des règles de droit applicable en la matière.

En effet, l’article 1316-4 du code civil (futur article 1367), ne fait bénéficier les signatures électroniques d’une présomption de fiabilité que lorsqu’elles répondent aux conditions fixées par le décret n°2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l’application de l’article 1316-4 du code civil et relatif à la signature électronique.

Parmi ces conditions, figure l’obligation pour le prestataire de services de certification électronique de remettre à son titulaire le certificat électronique associé à la signature électronique « en face à face », c’est-à- dire après une vérification en sa présence de ses pièces d’identité (Cf. à l’annexe de l’arrêté du 26 juillet 2004 « relatif à la reconnaissance de la qualification des prestataires de services de certification électronique »).

Cette vérification d’identité n’est jamais possible lorsque le certificat électronique est délivré à son titulaire en ligne, notamment par des « plateformes » de signatures électroniques utilisant des certificats électroniques dits « éphémères » ou « à la volée ».

En l’espèce, il appartenait donc à l’assurance de démontrer en quoi la technique de signature électronique était fiable et en quoi le défendeur était nécessairement le signataire du contrat d’assurance, puisque la technologie ne bénéficiait pas de la présomption de fiabilité de la technique posée par le décret du 30 mars 2001. Une telle démonstration n’a pourtant pas eu besoin d’être faite. En violation de l’article 1316-4 précité, le juge de proximité a présumé que la signature électronique était fiable, sans que l’on sache pourquoi elle l’était. Par la seule mention portée par la plateforme de contractualisation en ligne sur le document contractuel, le juge considère qu’une « identification et une authentification précise des signatures » (sic) étaient réalisées.

Voici une affirmation qui n’est en rien une démonstration.

D’abord, il semble que le juge ait fondé sa conviction sur un document « papier » (la demande d’adhésion portant mention d’une délivrance par une plateforme de contractualisation). C’est un comble. Lorsqu’il s’agit de se prononcer sur la validité d’un document électronique, c’est nécessairement le document électronique qu’il faut interroger et pas sa copie papier.

Ensuite, dans un mélange conceptuel assez peu convaincant, on comprend que la conviction du juge est emportée par la présence d’un tiers – qui n’en est pas un – dans le processus de contractualisation, tiers ayant porté une mention sur la demande d’adhésion. Le contenu de cette « mention » n’est pas visé par le juge dans ses motivations. Peu importe. Lorsqu’une partie dénie sa signature, conformément à l’article 287 du code de procédure civile, ce n’est pas sur la base de la déclaration, fut-elle écrite, fut-elle portée sur un document contractuel et fut-elle d’un tiers au procès, que le juge procède valablement à la vérification d’écriture qui lui est demandée.

Apporter la preuve qu’une signature électronique est fiable, ce n’est pas simplement faire déclarer par un sous-traitant ou prestataire technique qu’elle est fiable. La preuve doit s’opérer par une démonstration technique et logique et non une simple déclaration.

Le juge de proximité statuant en dernier ressort, le recours contre la décision de première instance est porté directement devant la Cour de cassation.

On pouvait penser que la cassation s’imposerait compte tenu de l’erreur manifeste d’application de l’article 1316-4 du code civil par le juge de proximité.

Surprise. La Cour de cassation, dans l’arrêt de sa première chambre civile du 6 avril 2016, fait purement et simplement sienne la motivation de la juridiction de proximité et considère que le juge de première instance a bien procédé à la recherche qui lui incombait quant à la fiabilité du dispositif de signature électronique utilisé. Recherche qui s’est résumée à se baser sur les simples déclarations du demandeur et la confiance « présumée » qu’il y avait lieu d’accorder à la plateforme de signature électronique en ligne.

La Cour de cassation refuse donc de s’immiscer dans un contrôle qui lui paraît être plus du fait que du droit et, par la même, valide une signature électronique qui n’était pas présumée fiable au sens de l’article 1316-4 du code civil sans que la personne s’en prévalant ait eu à en démontrer la fiabilité. Ce qu’il faut retenir de cette décision est que lorsqu’un plaideur entend dénier la signature électronique qu’on lui impute, il convient de le faire devant les juges du fond. Devant la Cour de cassation, sauf revirement, il sera trop tard.

Autre enseignement : il est à anticiper une forme de renversement de la charge de la preuve en matière de démonstration de la fiabilité d’une signature électronique. Dans la mesure où le demandeur, en l’espèce, n’a pas eu à démontrer la fiabilité du système de signature électronique, il faut en conclure qu’il appartiendra à celui qui dénie sa signature de démontrer l’absence de fiabilité du système de signature qu’on lui oppose.

Voici donc les certificats à la volée validés par la Cour de cassation… sur un malentendu. Une solution qui ne sera que provisoire si les juges du fond acceptent de se saisir avec soin de la question.