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LETTRE RECOMMANDÉE ÉLECTRONIQUE

Déc 2015

Etienne Papin, avocat associé, 30 décembre 2015 pour Archimag.

La lettre recommandée permet de disposer d’une preuve fiable de la date d’un envoi postal et, lorsqu’un accusé de réception est demandé, de la date de sa réception, de même que de l’identité de la personne en accusant réception. De nombreux textes de loi prescrivent également que certaines formalités soient réalisées par lettre recommandée. Depuis 2005, le format électronique est possible.

C’est l’ordonnance n°2005-674 du 16 juin 2005 relative à l’accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique qui a créé la possibilité d’avoir recours à la lettre recommandée électronique (eLRAR).  Cette ordonnance a introduit dans le Code Civil l’article 1369-8 prévoyant qu’une lettre recommandée  relative à la conclusion  ou à l’exécution d’un contrat puisse être envoyée par courrier  électronique. L’article

1369-8  prévoit  cependant  que  l’eLRAR doit  être acheminée  par  un tiers selon un procédé   permettant d’identifier ce tiers, de désigner l’expéditeur, de garantir l’identité  du destinataire  et d’établir  si la lettre a été remise  ou non  au destinataire. La description de ces contraintes techniques était  renvoyée par  le texte  à un décret  d’application.    Depuis  2005, ce décret se faisait  attendre.  Le 2 février 2011 a été publié le décret relatif à l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique  pour la conclusion  ou l’exécution  d’un  contrat.  Ce décret  décrit  le processus d’envoi et d’acheminement d’une eLRAR, mais laisse de nombreuses questions dans l’ombre.

Un décret qui recèle des subtilités

Le décret  prévoit  que les eLRAR seront distribuées   par  des  «  tiers  chargés  de leur acheminement  ». N’importe  quelle personne  physique  ou morale  respectant les conditions du décret peut exercer cette fonction. C’est ce tiers « achemineur  »qui va organiser l’ensemble des opérations relatives à la distribution  de l’eLRAR.

La lettre  recommandée voit son régime juridique plus complexe dans  le monde électronique que dans le  monde   physique. Premier facteur de  complexité, l’eLRAR est d’une  nature  hybride : elle peut être à la fois électronique  et papier. En  effet,  remise nécessairement sous forme   électronique au tiers achemineur par  son  expéditeur,   l’eLRAR peut ensuite être distribuée soit sous forme électronique, soit  sous  forme   papier. Ce n’est   donc  pas  un  document   électronique  unique, « original », qui  va transiter de l’expéditeur au destinataire, mais un  contenu   informationnel dont l’intégrité doit être  garantie par  le tiers achemineur, le support allant  « transmuter » au gré de son acheminement. Comment doit s’opérer le choix entre une distribution   sous forme électronique  et une distribution  sous forme papier?  C’est ici le second facteur  de complication  car ce choix n’est  pas  de l’entière  liberté  de l’expéditeur. Le législateur a entendu faire une  distinction  selon que le destinataire est  un  professionnel   ou  un  particulier. Dans le premier  cas, dès lors qu’un  professionnel a fourni son adresse de courrier électronique, il est réputé avoir accepté de recevoir des recommandés électroniques. En revanche, le particulier  doit avoir préalablement  accepté de recevoir une missive sous  forme  électronique.   Il  faudra donc  que  le  professionnel,   qui entend être  en mesure  d’adresser  des eLRAR à sa clientèle  composée  de particuliers, se ménage  la preuve  préalable,  sous forme papier,  de leur  consentement à ce mode de communication (on songe notamment aux banquiers ou aux assureurs).

Le processus de l’eLRAR

Il convient enfin de préciser que l’eLRAR prévue par l’article 1369-8 du Code civil, et son décret d’application du 2 février 2011, ne  concerne que la lettre  recommandée  « relative à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat», c’est-à-dire  essentiellement les rapports de droit privé. L’utilisation  d’une LRAR électronique de «bout en bout» dans une relation  avec l’administration, n’est pas envisagée par ce texte.  Ainsi que nous l’avons indiqué, le décret se borne  à décrire le processus que le tiers achemineur  devra respecter pour la délivrance d’une eLRAR. En voici les quatre  étapes.

Le dépôt. Lors du dépôt de l’eLRAR, le tiers achemineur  doit recueillir un certain nombre d’informations relatives à l’expéditeur   : ses nom  et prénom  ou sa raison sociale, son adresse de courrier électronique   et son  adresse  postale  ; le choix de l’expéditeur  pour une lettre  recommandée  avec ou sans avis de réception  ;   le choix de l’expéditeur  pour  une distribution  sur papier ou non et le choix du niveau  de garantie  contre les risques de perte, vol ou détérioration. Ce dernier choix est pour le moins étonnant,  car, s’il se conçoit dans le monde physique,  il est plus  difficile d’imaginer  la perte,  le vol ou la détérioration d’un courrier  électro- nique puisque  celui-ci peut-être  réexpédié à l’envi, tant  que son destinataire   ne l’a pas reçu ! Nécessairement, le  tiers   achemineur doit obtenir de l’expéditeur les coordonnées   du  destinataire,  à  savoir ses nom et prénom ou sa  raison sociale ainsi que son adresse   postale ou  de courrier électronique.

‚La preuve du dépôt.

Le tiers  achemineur   doit  renvoyer  par courrier électronique à  l’expéditeur, une preuve  de dépôt comprenant les informations suivantes : le numéro d’identification  de l’envoi  et la date  et l’heure  du dépôt.

ƒLa distribution.  C’est à ce stade que l’eLRAR peut se matérialiser.  En effet, si l’expéditeur  a demandé  une distribution électronique   de sa LRAR, le tiers  ache- mineur  doit informer  le destinataire, par courrier  électronique, qu’une  eLRAR va lui être envoyée. Le destinataire   dispose alors de quinze jours  à compter  du lendemain  de l’envoi  de cette  information, pour  accepter  ou  refuser  la  eLRAR. Il s’agit  de la transposition  dans le monde électronique  du refus de réception du recommandé  papier.   Le  décret   prend soin de préciser  que le destinataire   n’est pas  informé   de  l’identité   de  l’expéditeur  à cette étape.  Quoique  le décret  ne l’indique   pas,  il faut  conclure  que  si le destinataire   ne se  manifeste  pas,  il est présumé   refuser  l’eLRAR. En  cas  d’acceptation,  le tiers achemineur  envoie l’eLRAR « à destination  de l’adresse électronique  qui lui a été transmise  par l’expéditeur  ».

„L‘accusé  de  réception.    Dans  le cas d’une  eLRAR avec accusé  de réception,  le tiers  achemineur   doit  adresser à l’expéditeur un courrier électronique indiquant  la  date  et l’heure   à laquelle le  destinataire  a accepté  ou  refusé  de recevoir  la lettre  recommandée  électro- nique  ou l’absence de prise de connaissance  de celle-ci. Le tiers chargé de l’acheminement devra conserver pendant un an les «preuves» relatives à l’opération  d’acheminement réalisée, notamment  la date et l’heure  de l’envoi de l’eLRAR, ainsi que le document original électronique  et son empreinte informatique. Il devra les tenir à disposition de l’expéditeur  pendant  cette durée et ce dernier pourra  en obtenir  copie.

Un décret qui ne règle pas tout

Si l’expéditeur   peut,  ou doit,  demander une  distribution   de la lettre  sur papier, le  tiers   achemineur    doit   alors   assurer  l’impression   de cette  dernière  et  sa remise  en main  propre  au destinataire, comme pour  un recommandé classique. Cependant,   cette  distribution   physique ne  peut  être  réalisée  que  par  un  prestataire   de  services  postaux  autorisé   au titre  de l’article  L.3 du Code des postes et  communications  électroniques.  C’est ce prestataire   qui sera chargé d’adresser à l’expéditeur   l’accusée  de réception  de la  LRAR. La distribution   d’une  eLRAR peut donc être, dans les faits, réalisée par deux opérateurs  différents.

Le décret  du 2  février  2011   règle le processus   de   distribution    d’une   eLRAR, mais   ne  contient   aucune   prescription concernant  les techniques  devant être employées  par  la  personne   chargée  de son acheminement pour réaliser  ces opérations  (empreinte   d’intégrité   du  docu- ment à expédier?).

Contrairement aux attentes,  le décret est muet  sur  les conditions  dans  lesquelles est  garantie   l’identité   du  destinataire   ; de même, il ne prévoit rien sur les conditions  de fiabilité  du  dispositif   électro- nique d’horodatage.

Enfin, le courrier  recommandé est sou- vent utilisé dans un contexte contentieux ou précontentieux.  Il est  prévu  que  le tiers  achemineur   conserve  à disposition de l’expéditeur   ses  éléments  de preuve pendant un an. Une durée bien courte au regard de la durée des contentieux.