CESSION DE SES DROITS D’AUTEUR PAR UN SALARIE

23/02/2022

Une clause générale de cession de droits d'auteur dans un contrat de travail validée par la Cour d’appel de Paris.

Sauf exception, les employeurs ne sont pas automatiquement cessionnaires des oeuvres créées par leurs salariés. D’où l’importance de la clause de cession de droits d’auteur dans les contrats de travail.

Dans son arrêt du 25 janvier 2023, la Cour d'appel de Paris (CA PARIS Pôle 5, chambre 1, 25 Janvier 2023 – n° 19/15256) vient conforter utilement l’efficacité de ces clauses.

● Une salariée invoquait la nullité de la clause au fondement de l'article L.131-1 du code de la propriété intellectuelle et en ce qu'elle procéderait d'une cession globale d'oeuvres futures prohibée.

Or, en l'espèce, la clause de cession de droits stipulée au contrat de travail au profit de l'employeur couvrait les créations réalisées dans le cadre du contrat, au fur et à mesure de leur réalisation. La Cour affirme qu’une telle clause n'est pas nulle dès lors qu'elle délimite le champ de la cession à des oeuvres déterminables et individualisables.  Ainsi, la clause ne porte pas sur des oeuvres futures mais sur des oeuvres réalisées, la cession n'opérant qu'au fur et à mesure de la réalisation.

● La salariée prétendait également que la clause de cession de droits était nulle car dénuée de contrepartie financière pour la cédante.

La Cour confirme que la rémunération forfaitaire de la salariée, même n’opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d'auteur, est licite.

LES REPRISES EN MUSIQUE DEVANT LA COUR DE CASSATION

15/02/2023

● Sampling de moins de 2 secondes : pas d’atteinte au droit d’auteur

Un groupe de musique (The Do) avait composé le morceau « The bridge is broken » sorti en 2008. En 2015, deux artistes ont publié le titre « Goodbye » qui, selon le premier groupe, reprenait de manière répétée à l’identique un extrait de l’œuvre première. Par arrêt du 8 février 2023, la Cour de cassation (1re civ., 8 février 2023) donne raison à la Cour d’appel qui avait débouté The Do de ses demandes, en considérant 1️⃣ que la partie de l'œuvre dont la reprise était reprochée ne constituait pas un « gimmick » permettant de caractériser l'originalité de l’œuvre et 2️⃣ qu'il n'était pas établi que l'œuvre seconde avait repris et incorporé un extrait de l'enregistrement de l'œuvre première.

Bien que le Cour d’appel ait admis le caractère original de l’œuvre première prise dans son ensemble, l’extrait de l’œuvre dont la reprise était reprochée, n’était pas un « élément déterminant » permettant de caractériser la personnalité de l’auteur et « ne participait pas de l’originalité de l’œuvre ». Etait notamment relevée la brièveté de l’extrait litigieux qui constituait un « accompagnement d’instrument » et « aucunement une partie soliste ».

● Reprise de textes de chansons dans un livre : exception de courte citation

Un éditeur avait publié un ouvrage intitulé « Je ne chante pas pour passer le temps » reprenant 131 extraits de chansons de Jean Ferrat ainsi que le titre de l'une d'elles en couverture. L’exécuteur testamentaire et la société de production de l’artiste ont assigné l’éditeur en contrefaçon.

Par son arrêt du 8 février 2023, la Cour de cassation considère que les citations des textes de l’artiste étaient justifiées par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage : elles étaient nécessaires à l'analyse critique de chansons, permettant au lecteur de comprendre le sens de l'œuvre évoquée et l'engagement de l'artiste. La Cour de cassation précise également que l’ouvrage ne s’inscrit pas dans une démarche commerciale ou publicitaire.

Etait également invoquée une atteinte au droit moral de l’auteur caractérisée par la dissociation des textes de l’œuvre musicale intégrale. Or, pour la Cour de cassation, le texte et la musique d'une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral.

CONTREFACON EN LIGNE : OBLIGATION D’UNE ENQUETE PENALE EFFECTIVE

09/02/2022

Identification des auteurs d’actes de contrefaçon en ligne : Condamnation de l’Ukraine pour manquement à son obligation de mener une enquête pénale effective.

La France est-elle plus efficace que l’Ukraine ?

Les faits : Le livre d’une écrivaine ukrainienne avait été mis à disposition, sans son consentement, en téléchargement payant sur un site. Le paiement était collecté par SMS vers un numéro ukrainien. La requérante a tenté d’obtenir par ses propres moyens des informations bancaires et de télécommunications pour identifier les personnes à l'origine de cette opération, mais la confidentialité de ces informations lui a été opposée. Elle a alors déposé une plainte pénale pour violation de ses droits d'auteur.

Cependant, la police a abandonné la procédure, notamment au motif qu’elle n'était pas en mesure d'obtenir des informations de la part des fournisseurs de télécommunications concernant l'utilisateur du numéro de téléphone.

Par son arrêt du 19 janvier 2023, la Cour européenne des droits de l’homme condamne l’Etat d’Ukraine pour manquement à son devoir de mener une enquête pénale effective pour identifier les auteurs de l’infraction, rendant impossible la poursuite d'une action civile par la requérante.

La CEDH relève que pesaient sur les enquêteurs des obligations de moyens et non de résultat, mais en l’espèce il est jugé que les mesures demandées par la requérante n’étaient pas disproportionnées par rapport à la gravité de l'infraction alléguée, dès lors que des informations bancaires et de télécommunication avaient été identifiées. Il est par ailleurs jugé que la requérante n'a pas été régulièrement informée des actions menées.

ATTEINTE AU DROIT MORAL D’UN PHOTOGRAPHE

03/02/2023

Un photographe avait réalisé, sur commande de la mairie, un reportage sur la saison estivale et le patrimoine d’une ville. Le photographe avait adressé sa facture à la ville qui l'avait réglée. La facture intégrait une mention selon laquelle les photographies étaient « libres de droits ». En mars 2018, le photographe constatait que le site internet de la mairie publiait une de ses photographies qui avait été recadrée sans son autorisation et sans mentionner son nom.

Le photographe a assigné la commune.

La photo était-elle protégée par le droit d’auteur ? Oui, nous dit la Cour d’appel de Rennes dans sa décision du 17 janvier 2023 : la photographie litigieuse, représentant une plage, illustre l'empreinte de la personnalité du photographe en la présentant sous un jour inattendu dès lors qu’« il se dégage de ce cliché une impression de spectacle maritime en mouvement contrastant avec l'ambiance familiale nonchalante régnant sur la plage de sable clair […] ».

La photo pouvait-elle être utilisée par la Commune ? La Cour considère que les photographies du reportage pouvaient être utilisées par la commune sans qu'elle ait à reverser des redevances de droit d'auteur au photographe dans la mesure où ce dernier aurait « clairement renoncé à toute rémunération pour l'exploitation des clichés du reportage réalisé par ses soins » en insérant la mention « libre de droits » à ses devis et facture.

Mais pas à n’importe quelles conditions! La gratuité d'utilisation ne pouvait être confondue avec une utilisation modifiée de la photographie sans autorisation et sans créditer l’auteur. Une atteinte au droit moral de l’auteur est retenue et la commune est condamnée à lui verser la somme de 500 euros…

Deux rappels utiles :
● Les acheteurs publics sont tenus au respect des règles du code de la propriété intellectuelle lorsqu’ils commandent des oeuvres originales…
● Et les auteurs sont liés par les mentions qu’ils font figurer sur leurs documents commerciaux ou contractuels !

REMUNERATION PROPORTIONNELLE DE L’AUTEUR ET/OU APPROPRIEE ?

15/12/2022

De la rémunération « proportionnelle » de l’auteur vers la rémunération « appropriée ». Avec la décision du Conseil d’Etat du 15 novembre 2022, les rapports entre auteurs et exploitants d’oeuvres entrent dans une période d’incertitude…

Saisi à l’initiative de plusieurs associations d’auteurs, le Conseil d’Etat a invalidé les disposition de l’ordonnance du 12 mai 2021 portant transposition de certains articles de la directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique.

1️⃣ Le Conseil d’Etat constate que cette ordonnance n'a pas prévu, contrairement à ce qu'exige la directive, que la rémunération des auteurs soit, non seulement « proportionnelle » mais aussi « appropriée ».

2️⃣ La directive en question prévoit dans son article 18 que « Les États membres veillent à ce que, lorsque les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants octroient sous licence ou transfèrent leurs droits exclusifs pour l'exploitation de leurs œuvres ou autres objets protégés, ils aient le droit de percevoir une rémunération appropriée et proportionnelle ».

➡️ Le mécanisme bien établi de la rémunération de l’auteur proportionnelle aux produits de l’exploitation de son oeuvre (sauf exceptions limitatives) doit être réévalué en tenant compte de ce qualificatif « approprié ». La négociation et la formulation des clauses de cession ou licence de droits d’auteurs est donc à repenser.

CONTREFACON OU PARODIE ?

06/12/2022

Contrefaçon d’œuvres dérivées de l’univers de Tintin et précision sur la notion de parodie en droit d’auteur. La société Tintinimaginatio disposant des droits sur l’œuvre d’Hergé a assigné en référé un artiste ayant créé des œuvres dérivées de l’univers du personnage de Tintin (buste, fusée) et les sociétés qui les commercialisent via un site internet, les réseaux sociaux et des galeries d’art. Par un arrêt du 23 novembre 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence rappelle que, dans la mesure où ils présentent un caractère d’originalité, seule la société Tintinimaginatio pouvait s’inspirer des Aventures de Tintin pour commercialiser des bustes du personnage et la sculpture de la fusée, sauf à considérer que les œuvres secondaires étaient parodiques.

1️⃣ Pour cela, elles doivent présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre originale afin qu’il n’y ait aucune confusion entre elles. Elles doivent par ailleurs constituer une manifestation d’humour, laquelle peut être caractérisée dès lors que la parodie peut « prêter à sourire, même intérieurement ».

2️⃣ Or, les œuvres en cause n’apportaient rien d’autre qu’une déclinaison esthétique des œuvres originales et ne s’en distinguaient donc pas suffisamment pour être qualifiées de parodie. L’argument selon lequel il s’agissait pour l’artiste de « rendre hommage » à l’œuvre apportait crédit à l'idée, soulevée par les intimés, selon laquelle il était poursuivie une fin commerciale par le truchement d'un détournement de notoriété.

➡️ Les œuvres en cause sont donc contrefaisantes et, ce faisant, constitutives d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.

ACCORD ENTRE LA SACEM ET UN EMETTEUR DE NFT MUSICAUX

17/11/2022

La SACEM a communiqué le 15 novembre 2022 sur la signature d’un accord sur les NFT musicaux avec Pianity. Cet accord a pour objectif de mettre en place une rémunération des auteurs sur les ventes des titres musicaux sous forme de NFT. Selon le communiqué, cet accord inclut notamment le "droit de suite" : « A ce titre, chaque fois qu’un de ces NFT sera revendu à l’avenir, les créateurs de l’œuvre musicale bénéficieront d’une nouvelle rémunération ».

Cet accord est intéressant à plusieurs titres. Il éloigne le NFT d’une assimilation dans le monde numérique au support matériel du monde physique. En effet, avec la règle de l’épuisement du droit de distribution, la revente des supports matériels d’une oeuvre (un vinyle par exemple) échappe à toute perception des auteurs.

En instaurant un « droit de suite » sur les reventes de NFT, l’acquéreur du NFT devient plus un licencié qu’un propriétaire puisque la liberté qu’il a sur son NFT sera limitée par l’existence de ce droit de suite.

Cela implique que les NFT soient revendus au sein d’un écosystème clos, ce qui éloigne également le NFT d’une assimilation à un vrai bien numérique. A moins que le smartcontract associé ne génère automatiquement le reversement de la redevance en crypto, mais le communiqué de presse n’en souffle pas mot.

Si l’on comprend l’intérêt pour les auteurs, il faut également être prudent à ne pas détruire la valeur marchande initiale du NFT : le NFT est par essence moins intéressant si celui qui le possède ne le possède pas entièrement.

DUREE DES DROITS VOISINS DES ARTISTES ET PRESCRIPTION

10/11/2022

La durée des droits des artistes-interprètes n’est pas à confondre avec la prescription de l’action en réparation d’une atteinte à ces droits. Deux danseurs revendiquaient des droits voisins pour avoir participé en 1983 à l’enregistrement du clip d’une chanson d’Elton John. Faisant valoir que ce clip avait été exploité sans qu’ils aient donné leur autorisation ni reçu de rétribution, ils invoquaient une violation de leurs droits moraux et patrimoniaux.

Le juge de la mise en état a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes des danseurs. Ces derniers ont critiqué cette décision en ce qu’elle aurait pour conséquence de faire tomber le clip litigieux dans le domaine public alors que l’article L.211-4 du code de la propriété intellectuelle prévoit que la durée des droits patrimoniaux des artistes-interprètes est de 50 ans à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation et, quand l'interprétation est fixée dans un vidéogramme, de 50 ans après le 1er janvier de l'année civile suivant sa mise à la disposition du public. Le droit moral est quant à lui imprescriptible.

La Cour d’appel de Paris rappelle, par un arrêt du 2 novembre 2022 (n° 21/14698), qu'il convient de distinguer entre le droit conféré à l'artiste-interprète et l'action visant à sanctionner une atteinte portée à ce droit. Il est constant que si le droit moral de l'artiste-interprète est imprescriptible, et son droit patrimonial ouvert pendant 50 ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes portées à l'un ou à l'autre de ces droits sont soumises à la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, à savoir 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En conséquence, l’action est déclarée prescrite pour les faits antérieurs au délai de 5 ans précédant les assignations en justice, à savoir : la communication du clip au public dès 1983 à la télévision et durant les concerts d’Elton John puis sur internet dès 2010. Les demandes fondées sur l’utilisation du clip dans un biopic de l’artiste sorti en 2019 ne sont en revanche pas prescrites mais l’action est tout de même déclarée irrecevable du fait du défaut de qualité à défendre des défendeur.

REMAKE ET CESSION DE DROITS D’AUTEUR

8/11/2022

Qu’est ce-qu’un « Remake » de film ? Le réalisateur du film 'Les Nouvelles Aventures d'Aladin' avait conclu en 2014 un contrat de cession de droits d’auteur avec la société de production du film. Le contrat prévoyait notamment une rémunération complémentaire de l'auteur en cas de production d'un « Remake, Prequel, Sequel ou Spin-off ». Le film est sorti en 2015.

La société de production a ensuite, en 2017, décidé de produire le film 'Les Nouvelles Aventures de Cendrillon' dont la réalisation a été confiée à un autre réalisateur.

Considérant que ce film constituait un remake de son film, ou à tout le moins un spin-off, le premier réalisateur a estimé qu'en l'absence de versement de la rémunération complémentaire négociée, la société de production avait commis une faute contractuelle, des actes de contrefaçon et des actes de parasitisme.

La Cour d’appel de Paris, dans sa décision du 21 Octobre 2022 (n° 20/18408) infirme le premier jugement et retient qu’elle doit "au seul regard de la définition claire du remake donnée par le contrat vérifier si le film 'Les Nouvelles Aventures de Cendrillon' reprend en substance tout ou partie des thèmes, intrigues, situations, personnages, dialogues, voire découpage, cadrage, mise en scène du film 'Les Nouvelles Aventures d'Aladin’".

Elle constate de grandes similitudes entre les deux films litigieux dans le traitement des thèmes, intrigues, découpage et mise en scène. Par ailleurs, la promotion du film 'Les Nouvelles Aventures de Cendrillon' a été faite en référence constante au film 'Les Nouvelles Aventures d'Aladin' et la filiation de l'un avec l'autre a été un élément de communication utilisé par les producteurs.

Ainsi, bien que l’histoire ait été racontée de façon différente en raison du conte dont le film est inspiré, la Cour retient que le film 'Les Nouvelles Aventures de Cendrillon' doit être qualifié de "remake" au sens du contrat.

La Cour retient que la qualification contractuelle du remake ouvre droit à rémunération telle que négocié, mais ne constitue pas un acte de contrefaçon… ce qui n’est pas en accord avec la dernière jurisprudence de la Cour de cassation du 5 octobre 2022.

Dans les contrat de cession de droit, attention aux clauses types qui sont réutilisées d’un contrat à l’autre, sans plus être lues ou négociées !
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